L’équitation éthologique n’existe pas

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Le titre pourrait se suffire comme article. Pourtant je vais devoir détailler un peu, car oui l’équitation éthologique n’existe pas tant cette appellation ne fait pas sens. Et si vous ne lisez pas cet article, autant vous donner des info supplémentaires : un licol éthologique, une longe éthologique ou un stick éthologique, ça n’existe pas non plus.

Titre un peu provocateur ? On pourrait le croire. Mais non, pas vraiment. Lorsque l’on voit tout le marchandising « étho », il est bon de rappeler quelques réalités. Pas de licol éthologique, juste des licols à corde avec des noeuds comme points de pression (Oui ce genre de licol est bien plus «  »violent » » qu’un licol plat). Pas de stick éthologique, juste un stick, etc…

Pourquoi toutes ces pratiques et objets dits « éthologiques » n’ont rien à voir avec l’éthologie ?

Parce que l’éthologie équine, est l’étude du comportement des équidés (et par extension leur cause et la fonction de ces comportements) en milieu naturel ou domestique. On parle là du comportement intra-espèce (entre chevaux) mais aussi inter espèces (avec l’Homme par exemple mais d’autres animaux aussi).

Il peut s’agir de comportements de déplacement en groupe, choix et sélection dans la nourriture, rituels d’accouplements, façons de reconnaître un individus parmi d’autres, etc… Toute la palette des comportements. Et si on a domestiqué le cheval environ 2200 ans avant notre ère, on a encore beaucoup à découvrir sur cet animal, l’apprentissage de son comportement passant par l’observation en situation.

A quoi sert l’éthologie ? Comme toute science : à rien. (oh oh encore un peu de provocation ici – mais ça me rappelle mes années en institut de recherche en informatique). Elle sert intrinsèquement à ce qu’elle est : une science, donc à savoir – mieux comprendre l’objet de l’étude, étendre notre champ de savoir, faire reculer notre ignorance sur un sujet (et souvent mesurer l’étendue de notre ignorance). Au delà de ça, c’est une application (améliorer le bien être des chevaux domestiques, faciliter notre interaction avec eux, etc…) et heureusement nous essayons d’employer nos connaissances pour en tirer aussi un profit pratique (merci aux sciences de l’électronique et du signal pour avoir permis le développement de la radio, la télévision, internet, les smartphones…)

Revenons à notre « équitation éthologique ». On peut qualifier une étude ou une observation d’éthologique, mais pas « l’action et l’art de monter à cheval ». Monter à cheval n’est pas une étude du comportement intra et inter espèce du cheval. A la rigueur, l’équitation peut (et devrait) tirer profit des connaissances d’ordre éthologique pour enrichir son savoir-faire; mais parler d’ « équitation éthologique » c’est du même niveau que de parler de football éthologique (là la formule vous choque ?).

Cette absurde construction sémantique vient du copier/coller qu’on a voulu faire avec les « chuchoteurs » américains, ces entraineurs vu comme des éthologues amateurs (encore un abus de langage car aucun d’eux ne suivaient de protocole scientifique), qui éduquent les chevaux avec des méthodes dites plus « naturelles » (et parfois fausses). Aux US, même l’appellation « Natural horsemanship » a été créée. L’équitation éthologique est grandement une reprise initiale de cette mouvance en essayant de s’appuyer sur le savoir grandissant sur le cheval.

Ce qui est encore plus dérangeant avec cette appellation, c’est son développement comme élément de communication voire marketing. Il y aurait donc une équitation qui cherche à s’appuyer sur nos connaissances, et d’autres non ? (bon courage) Pour que ça marche à pieds il vous faut acheter un licol « éthologique », le stick qui va avec, la corde de 7 m avec le petit bout en cuir (choses que vous pouvez vous fabriquer seul), et tout autre accessoire qui devient une marque d’appartenance et nous éloigne un peu plus du savoir.

Combien de pratiquants d’équitation «  »éthologique » » (je ne sais plus combien de guillemets mettre) a lu UNE fois dans sa vie une vraie étude éthologique. Je parle bien là du papier de recherche, pas d’un article dessus ou résumé. Un vrai papier avec son abstract, la description du dispositif, l’hypothèse émise, les résultats observés, l’interprétation nuancée, la conclusion et l’ouverture vers les points à approfondir ? Je vois passer nombre de partages d’études sur facebook où les gens tirent une conclusion biaisée de ladite étude. Parfois c’est même le post de blog voulant vulgariser l’étude qui est biaisé car on sent bien derrière une volonté toute humaine de promouvoir des aspects à la mode (bien-être animal, douceur des méthodes, etc… => tout cela est bien, mais n’a rien à voir avec la réalité scientifique d’une étude, une étude ne sert pas un dessein).

La science est un domaine précis, en mouvance constante, fait de consensus et de modèles, basée sur un corpus antérieur qu’il faut connaître pour qu’une étude ai la moindre valeur, et … les scientifiques doivent être prêts à remettre en question leurs hypothèses, leurs conclusions, ré-évaluer des études à l’aune de nouvelles connaissances, modifier le consensus si nécessaire, changer de modèle… Le savoir n’a pas ce goût figé sur lequel reposent les « méthodes » (= systémisation d’un processus pour obtenir un résultat pouvant être répété).

Peut-être que ce biais de compréhension vient aussi de la distance des gens avec l’approche scientifique. En éthologie (comme dans d’autres sciences sociologiques), on peut passer son temps à observer un troupeau, noter la fréquence d’un comportement dans un contexte donné, essayer d’en tirer des conclusions, renouveler l’observation pour vérifier notre bonne compréhension du phénomène, l’observer dans d’autres contextes pour comprendre les variables du phénomène et celles qui n’ont pas d’influences. On peut aussi créer des situations artificielles où l’environnement est le plus contrôlé possible pour éliminer les facteurs impactant et n’étudier que la chaîne comportementale voulue. L’expérimentation est un art. Un facteur crucial qui peut rendre l’étude complément caduque.

Imaginons que vous vouliez tester la préférence d’un cheval entre 2 objets, images, etc… Et vous le placer dans une pièce neutre : mur blanc, plafond blanc. Ok, êtes-vous sûr que ce contexte est neutre pour lui ? Il est peut-être neutre pour vous humain, mais pour lui ? Qu’en est -il de la température ? des sons et odeurs qu’il perçoit ? Il va falloir s’appuyer sur des connaissances antérieures et non sur votre expérience avec pompom à la maison.

De même le biais statistiques est souvent à l’origine de mauvaises études : observer un comportement sur une dizaine de chevaux apporte peut-être un indice, mais certainement pas un modèle validé. Il faut beaucoup d’individus dont on connait assez bien les caractéristiques pour éliminer les variations individuelles et en tirer des conclusions. C’est justement là où le bas blesse avec les propriétaires : avoir 1, 2 … 5 chevaux ne permet pas d’en tirer des vérités générales (oubliez la classique intervention « Oui mais moi le mien… blabla… », cela ne prouve qu’une chose : vous ne comprenez pas ce qu’est une démarche scientifique).

La science est un domaine passionnant. Il y faut à la fois de la ténacité pour supporter ses idées, convaincre, arriver à remettre en cause des choses; de la rigueur dans les protocoles et les observations; et beaucoup d’humilité pour envisager le champ d’inconnu qui persiste devant soi, et être capable de remettre en cause les idées que l’on a précédemment défendues.

Autant j’aime lire les éthologues, leurs études ou écouter leurs interventions de vulgarisation. Vous les trouverez souvent très mesurés « On pense que », « D’après les dernières études »… Autant j’évite de lire les billets amateurs rapportant ces études, où tout devient assertif et définitif, le tout en proposant à côté des services de comportementaliste ou d’équitation éthologique.

Mais c’est mon ADN, je suis un scientifique, je vais lire la source.

Sur ce, je retourne faire de l’équitation éthologique, du travail à pieds.

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