De l’émotion

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Il est paradoxal que l’émotion qui nous fait souvent souhaiter et acquérir un cheval ne soit pas la meilleure des alliés pour progresser avec ce cheval. Parfois pour faire progresser un cheval vert dans le travail, c’est auprès d’une tierce personne (comme un entraineur) que cela se passe le mieux. Bien des propriétaires (si ce n’est tous), veulent tout le bien du monde à leur cheval, nous souhaitons créer une connexion, un lien unique, une relation permettant d’aller au-delà du rapport « monture/cavalier ».

Et pourtant, c’est parfois ce même sentiment qui vient compliquer les choses. Car lorsqu’on investit temps et émotions envers l’équidé, la limite est fine pour ne pas lui donner un fardeau émotionnel, une projection de nos désirs. Pour dire les choses simplement : on lui fait supporter l’envie voire le besoin inavoué qu’il réussisse (un exercice, un problème) ou ai un comportement donné… Il devrait réussir parce qu’on lui apporte notre amour – cette relation unique.

Lorsqu’il ne fait pas ce qui est attendu, ou pire qu’il régresse – phénomène courant de l’apprentissage avec ses plateaux, régressions et progressions – se mêle alors un sentiment de frustration, d’impatience tue (car on sait bien que l’on doit rester patient), et d’incompréhension virant à la remise en question (n’ai je finalement pas de bon lien avec mon cheval ?)

Chez l’humain, les parents constateront qu’il est souvent bien plus facile de faire apprendre à son enfant par un tiers (professeur). Ce dernier n’a pas la même charge émotionnelle qu’implique le lien de parenté. Alors que penser du cas d’une relation inter-espèce ? Ce besoin d’une relation particulière avec son cheval, n’est -il pas un dérivé d’anthropomorphisme ? Le cheval devenant l’enfant, l’ami voire le confident.

Je souris lorsqu’on me dit gaiment « mon cheval vient me voir à chaque fois au pré » comme preuve de cette relation. Petit test : mettez un cheval au box la moitié du temps, avec peu de contact avec ses congénères, et il viendra vous voir à chaque arrivée, prêt à sortir. Je ne dis pas que la relation n’existe pas, mais il est facile de se laisser embarquer sur la pente anthropomorphique (= juger les actions et réactions du cheval sous le prisme du comportement humain et au final le percevoir comme un humain). Deux de mes juments ont un comportement totalement différent : l’une reste avec les copines la plupart du temps, l’autre vient quand elle me voit. Celle qui m’ignore me connait depuis ses 2 ans et demi (et en prend 10), l’autre m’a rencontré il y a 2 ans. Et pourtant, la relation est plus forte avec la première bien que beaucoup beaucoup moins expressive.

Ce lien de confiance, c’est ce qui l’a aidée à passer d’une jument figeant à la vue d’un vélo posé contre un arbre à 50 m, à une jument qui me sert à explorer la région en solo sur des trajets de 30 km avec les pires monstres habituels (véhicules, animaux, etc…). Mais pendant des années, ce lien paraissait bien tenu – pas comme certains proprios dont les chevaux leur sautaient presque dans les bras. Cette relation plus froide a complètement forgé mon approche dans l’apprentissage et le dressage du cheval. Cette jument m’a aidé à mettre les émotions négatives de côté (incluant la réciprocité du lien affectif), essayer d’être le plus juste possible dans ma façon de lui faire acquérir les bons comportements et de toujours rester patient quel que soit le temps nécessaire. Pas d’attentes, pas d’objectifs courts termes, on met en place ce qu’il faut, on reste patient, on répète, SURTOUT on ne prend pas les échecs pour soi. Bien sûr, on peut et doit essayer d’améliorer notre manière d’obtenir quelque chose, mais le non succès à un instant T ne doit pas venir toucher notre for intérieur. « Les échecs permettent de mûrir un problème et de découvrir la voie de la réussite » — Lao-Tseu

Alors que dire des émotions avec un jeune cheval ou un cheval vert qu’on éduque ? Quitte à faire de l’anthropomorphisme (vous avez retenu que ce n’est pas bien hein ?), je dis toujours à mes clients de se positionner dans le rôle d’un parent/éducateur – pas le parent ami/confident comme c’est le cas de nos jours (autre vaste sujet) mais la figure qui est là pour donner un cadre, rester bienveillant, et qui sait mettre un filtre sur ses propres émotions internes. Il sait encourager alors que la réponse semble évidente, être patient alors qu’il est fatigué, mais aussi rester ferme alors que son coeur lui dit de laisser courir.

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